Un fait divers chimiquement pur
"C'est un fait divers chimiquement pur"
par Eric Yung,
rédacteur en chef à France Inter, écrivain,
ancien inspecteur de police à la brigade anti-gang.
Que vous inspire l'affaire des enlèvements en Ile-de-France? Pourquoi le sujet intéresse-t-il tant l'opinion?
- C'est un fait divers chimiquement pur. Il y a la beauté, la séduction, la mort, la torture et, enfin, cela se passe dans une zone urbanisée. Ce n'est pas comme les crimes d'autrefois, un peu sauvages, qui se déroulaient dans une France rurale et où la violence était mécanique. Ca suscite l'intérêt, ça fait peur. En plus de tout ça, il y a la jeunesse et le crime gratuit. Autrefois, le crime avait un mobile, une finalité. Là, c'est incompréhensible. Il faut imaginer le décalage en terme de police judiciaire. Organiser un rapt, il y a quelques années, était le summum de la criminalité. C'était très organisé, très risqué, et souvent voué à l'échec. En dehors de Mesrine, aucun enlèvement ne s'est terminé par une remise de rançon. Même pour l'affaire du Baron Empain. C'était une industrie qui demandait un grand professionnalisme. Là, ce sont des mômes qui improvisent, leur comportement est absurde. Il n'y a plus de "construction intellectuelle" pour comprendre le processus. C'est ça qui peut toucher l'opinion. La seule constante est peut-être le rêve libéral. L'appât du gain semble être le seul mobile.
En quoi le caractère absurde et incohérent de cette affaire modifie-t-elle les termes de l'enquête ? On a pu lire qu'une centaine de policiers de la PJ suivaient l'affaire, pourquoi sont-ils si nombreux ?
- Il faut se méfier des chiffres annoncés. Qu'il y ait cent fonctionnaires de police qui sont amenés à travailler dessus peut-être, mais pas à plein temps. A la PJ, il y a sûrement un groupe plus restreint chargé de l'affaire. C'est de la communication. C'est pour rassurer l'opinion et dire "la police veille". En terme d'enquête, je pense que la procédure sera la même qu'à l'habitude.
La vraie question est de savoir comment endiguer ce qui pourrait être un nouveau phénomène de l'histoire criminelle. Est-ce un incident de cette histoire ou pas?
Le film "L'Appât", de Bertrand Tavernier, inspiré d'un livre, qui s'inspirait lui-même de faits réels, est aujourd'hui rejoué dans la réalité. Pourquoi existe-t-il un lien si fort entre le genre du polar et le fait divers ?
- La littérature, ou le cinéma, qu'ils soient généralistes ou policiers, s'inspirent de la réalité ou l'anticipent.
Le polar est riche et intéressant car il décrit d'abord une situation sociale où aura lieu le crime, et raconte ensuite l'histoire humaine. Je pense à une citation de Baudelaire qui, lorsqu'il a traduit Edgar Allan Poe ("Histoires extraordinaires", ndlr), écrivit: "Le fait divers c'est l'absurde qui s'installe dans l'intelligence pour la gouverner avec une épouvantable logique". Pour moi, c'est tout à fait ça. Dans "l'Appât" de Tavernier, la fille (interprétée par Marie Gillain dans le film, ndlr), une fois arrêtée et détenue par la police, demande si elle sera libéree pour Noël. On est dans l'absurde le plus total.
Propos recueillis par Simon Piel
Sources : Nouvel Observateur
Posté par Adriana Evangelizt