L’école des cadavres
L’école des cadavres
La décision pour le moins farfelue du président Sarkozy de «confier la mémoire d’un enfant victime de la Shoah à chaque élève de CM2» ressemble à un coup politique pour le moins douteux. Le mari de Carla court après sa bonne étoile, déjà très ternie par huit mois de présidence.
On avait déjà eu droit à la lettre de Guy Môquet, missive ampoulée d’un jeune homme courageux et bravache, dont la lecture, censée galvaniser nos chères tête blondes, n’avait eu pour seul effet que quelques gloussements polis et une défaite cinglante de l’équipe de France de rugby en Coupe du monde. On avait déjà eu droit au fondamental et irremplaçable curé, qu’aucun professeur de France ou de Navarre, absent ou tôt levé, ne saurait remplacer. Nous voilà maintenant avec cette « mémoire de la Shoah » et ses milliers d’enfants morts que l’ensemble des élèves de cours moyen deuxième année vont être priés de porter sur leurs frêles épaules affaiblies par un cartable trop lourd. A chacun son cadavre, en rang serré, deux par deux, s’il vous plaît silence dans les rangs, entrez, vous pouvez vous asseoir, ouvrez votre cahier de catéchisme.
"J’ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos, de faire en sorte que, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d’un des 11 000 enfants français victimes de la Shoah"(...)"Les enfants de CM2 devront connaître le nom et l’existence d’un enfant mort dans la Shoah. Rien n’est plus intime que le nom et le prénom d’une personne. Rien n’est plus émouvant pour un enfant que l’histoire d’un enfant de son âge, qui avait les mêmes jeux, les mêmes joies et les mêmes espérances que lui", a déclaré le président en chute libre dans les sondages (tout est lié). Comment confie-t-on une mémoire ? C’est quoi au fait une mémoire ? Des papiers, une photo, une lettre ? Ou plutôt, comme semble l’expliquer Sarkozy, un nom et un prénom ? « Rien n’est plus intime que le nom et le prénom d’une personne ». Etrange phrase. L’intime étant ce qu’on ne dévoile qu’au plus petit nombre de nos fréquentations, un nom et un prénom peuvent-ils être qualifiés d’intime ? Ou alors est-ce la définition de l’intime façon Sarkozy, ce qui pourrait expliquer bien des comportements. D’autre part, les enfants morts pendant la Shoah ont-ils vraiment eu le loisir de connaître les mêmes jeux, les mêmes joies, les mêmes espérances que les enfants d’aujourd’hui, en France, qui naviguent entre une Wii, un i-Phone, la tecktonik et My Space ? Une fois qu’on aura confié à ces enfants la mémoire d’une de ces 11 000 petites victimes de la Shoah, qu’en fera-t-il tout au long de son année scolaire ? Des exposés ? Des récitations ? Du macramé ?
François Hollande, une fois n’est pas coutume, est plutôt d’accord avec Sarkozy. "Chaque fois qu’on peut faire transmettre les exigences du devoir de mémoire, il faut le faire", a dit le toujours premier secrétaire du toujours Parti socialiste. On peut être d’accord avec lui, tout en nuançant : le devoir de mémoire ne concerne-t-il que la Shoah ? Une réaction dans ce sens relevée sur le site de Libération, d’un commerçant de la rue des Rosiers : « D’un côté, le devoir de souvenir est indispensable, et pas uniquement sur la question de la Shoah. D’un autre, les juifs devraient être plus discrets. Nous sommes une minorité parmi d’autres minorités. Et moins on parle de nous, mieux c’est », dit-il, avant d’ajouter : « Et puis elle s’adresse à un public qui s’en fout complètement. Aujourd’hui, les jeunes ne sont pas sensibles à cela. » Et, là-dessus, bien sûr, les supporters de Sarkozy argueront que c’est justement parce qu’ils ne sont pas sensibles à cela qu’il est urgent d’agir de cette façon. Oui, mais on retiendra surtout la première partie de la réaction de ce commerçant qui craint une stigmatisation des juifs, rien de mieux pour réveiller les antisémites de tout poil qui ne dorment toujours que d’un œil. A ce sujet, toujours sur le site de Libération, un autre homme ne craint pas la stigmatisation et pense au contraire que « La Shoah est un bon exemple à montrer aux enfants sur ce que peut être la folie humaine sur le plan collectif. En cela, la proposition de Sarkozy ne peut être que positive. »
Oui, mais faut-il vraiment imposer aux jeunes gens de CM2 la « folie humaine » dans toute son horreur ? Et si oui, pourquoi pas d’autres atrocités, d’autres guerres, d’autres génocides, dont celui du Rwanda, par exemple, plus proche, encore chaud du sang des uns et des manipulations politiques des autres ? Parce que c’est aussi cela, un génocide, c’est une savante combinaison de lâchetés politiques, de délires paranoïaques et de nature humaine. On pourrait aussi expliquer cela à nos chères têtes pas encore bien pleines. Le devoir de mémoire, souvent larmoyant et compatissant à l’excès, ne devrait pas souffrir d’exception. Ce doit aussi être le devoir de mémoire de la France de 1940, de Vichy, de Pétain, de la Collaboration. Guy Môquet, oui, mais Pierre Laval aussi, mais Maurice Papon aussi, Jean Moulin mais René Bousquet aussi. Les enfants de France morts dans les camps y ont parfois été conduits par d’autres enfants de France. C’est un autre devoir de ne pas perdre cette mémoire-là. En fait, à force de commémorations, de souvenirs qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à une certaine repentance hier raillée par le candidat Sarkozy, on s’arrange bien avec nos souvenirs, notre passé, notre Histoire. On finit par ne la remplir que de héros et de victimes. Loin des salauds, loin des bourreaux. Loin, donc, de la vérité.
A l’instar de la lettre de Guy Môquet, la Shoah obligatoire au cours moyen n’est évidemment qu’un gadget politique. Un contre-feu, une diversion pour faire un temps oublier des municipales mal engagées. L’école des cadavres après l’école des curés : le bourrage de crâne(s) continue.
Sources Ya basta
Posté par Adriana Evangelizt