1 - Quel monde Nicolas Sarkozy nous prépare-t-il ?
Petite piqûre de rappel, un article du 6 mai 2007... vu la longueur de l'article, il sera en deux partie...
Quel monde Nicolas Sarkozy nous prépare-t-il ? 1
16 chercheurs vous livrent les clés du futur
Une droite décomplexée vient d'accéder au pouvoir. Et comment ! La gauche est largement défaite (six points d'écart) et un nouveau président est appelé à régner pour cinq ans. Nicolas Sarkozy se retrouve à la tête de la cinquième puissance du monde. A 52 ans, s'il a la longévité de ses prédécesseurs, il pourrait faire quatre ou cinq mandats et nous serions coincés jusqu'en 2027 ou 2032. Pour l'instant, rien ne l'en empêcherait, s'il n'avait donné sa parole de limiter la durée présidentielle à deux mandats. Donnons-lui crédit pour ses bonnes intentions !
Après tout, il a promis de ramener le taux de chômage à 5%, c'est à dire, selon lui, au plein emploi. Mais cinq pour-cent représentent la limite basse communément admise pour ne pas créer de pression sur les salaires tout en maintenant une relative paix sociale. Il prétend redonner du souffle à l'économie française et régler les déficits sociaux ; et, puisqu'il sera le "président des résultats", nous jugerons donc sur les résultats. En attendant, il convient de rester vigilant car le passé à déjà montré que les puissants entre eux pouvaient engendrer une machine monstrueuse.
Qu'en est-il aujourd'hui ? Quels sont les risques ?
Dans un film sans concession, "REFUTATIONS", réalisé par Thomas Lacoste, seize chercheurs et militants déconstruisent implacablement la rhétorique de M.Sarkozy. Ils nous mettent en garde sur ce que pourrait devenir la France sous Sarkozy. Alors, fiction ou réalité ?
Ecoutons-les :
1. Une Menace pour la Démocratie -
Eric Fassin, sociologue.
"La manière de parler politique de Nicolas Sarkozy est dangereuse pour la démocratie. Il ne se contente pas de dire une chose ou une autre, mais il dit toujours, en même temps, une chose et son contraire. Autrement dit, ça veut dire que la question de la vérité en politique ne se pose plus du tout. Ça veut dire que l'on n'a pas besoin de savoir si ce qu'il dit est vrai ou pas, puisqu'il peut toujours désamorcer la critique en disant 'mais non, j'ai aussi dit le contraire'. Ça veut dire qu'il n'y a pas de débat rationnel possible, il n'y a pas de position dont on puisse le tenir comptable.
"Donc, en fait, c'est une manière d'échapper à l'exigence démocratique de débat. Ça a un effet aussi, c'est que ça introduit de la confusion chez les électeurs. Parce que, au fond, si on demande aux gens ce qu'ils pensent de la discrimination positive, ils ne savent pas trop, parce qu'ils ont entendu Nicolas Sarkozy en parler dans un sens, alors qu'en même temps il tenait des discours sur le kärcher et les racailles. Ou bien sur la double-peine, finalement on n'arrive plus très bien à savoir est-ce que réellement il était contre, il était pour, est-ce que… ?
"On pourrait prendre un ensemble de sujets où Nicolas Sarkozy a dit tout et son contraire. Lorsqu'il parle de l'identité nationale, par exemple, il dit bien, 'mais pas du tout, on m'accuse de vouloir racialiser ou ethniciser l'identité nationale ; ça n'est pas du tout ce que je fais puisque, en réalité, moi je mets l'accent sur le fait que l'identité nationale c'est l'égalité entre les hommes et les femmes, par exemple. Mais en même temps, ça ne l'empêche pas, lorsqu'il s'exprime devant la presse, de dire que l'identité c'est quand même quelque chose qui est ancrée dans la génétique. Autrement dit, on voit mal, si c'est ancré dans la génétique, comment on pourrait être intégré dans une nation qui n'est pas la sienne. C'est à dire, on n'est plus dans un discours qui est celui des valeurs mais dans des données biologiques. Autrement dit, il pourra toujours se défendre et nous accuser d'avoir mal compris, il pourra toujours plaider que l'on est dans la mauvaise fois, alors qu'en réalité il dit systématiquement une chose et son contraire.
"L'effet, c'est un désordre pour tout le monde, c'est à dire qu'on ne sait plus où on en est. Et ce désordre, il me semble qu'il est dangereux pour la démocratie, parce que ça veut dire que devant un tel désordre, eh bien, on a envie d'y voir clair, on a envie d'ordre. Et il me semble que le désordre qu'engendre la rhétorique de Nicolas Sarkozy, eh bien, c'est un appel à l'ordre.
" Je crois qu'il y a un lien entre sa posture conservatrice, voire réactionnaire et la posture rhétorique qui revient à défaire le langage démocratique. Donc, je crois que pour des raisons qui ont à voir avec la définition même de la démocratie, il faut être très vigilant par rapport au vote pour Sarkozy. Ce n'est pas tellement la question de savoir à quel point il propose une économie libérale ou pas, à quel point il propose une politique atlantiste ou pas, je crois que c'est sur les fondements mêmes de la démocratie - et on l'a vu sur ces questions d'identité nationale - qu'il y a aujourd'hui un danger, c'est à dire que la parole politique telle qu'elle est posée par Nicolas Sarkozy, eh bien elle revient à évacuer la raison de la politique. On est uniquement dans une sorte de désordre intellectuel qui appelle un ordre politique."
2. Fiscalité et redistribution -
Thomas Piketty, économiste, Directeur d'Etude à l'EHESS
"L'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy comme président de la république ça marquerait vraiment l'arrivée en France d'une nouvelle forme de droite, une droite véritablement réactionnaire, revancharde, haineuse, d'une sorte de "Bushisme" à la française. Et, moi, je voudrais insister sur le fait que c'est quelque chose que l'on retrouve de façon très globale dans le programme de Nicolas Sarkozy et notamment sur le plan économique. Quand on pense à Nicolas Sarkozy réactionnaire, on pense au ministère de l'identité nationale, à la pédophilie innée, etc., mais c'est quelque chose que l'on retrouve également sur le plan économique.
"Quand Nicolas Sarkozy s'engage à réduire de 4 points de PIB les prélèvements obligatoires en cinq an, ça peur paraître très abstrait comme ça, mais il faut bien comprendre que cela représente une diminution par deux de tous les budgets de l'assurance maladie et de la sécurité sociale, ça représente quatre fois le budget de l'enseignement supérieur et de la recherche. Donc, se lancer dans des coupes sombres d'une telle ampleur, avec une telle violence, avec une telle rapidité, c'est quelque chose de tout à fait inouï. Et ça représente par exemple une baisse, un désengagement de l'Etat deux fois plus rapide que ce Margaret Thatcher à mis en place au Royaume-Uni en dix ans.
"Donc c'est quelque chose de complètement… de jamais vu ! Cette violence, on voit bien la stratégie qui est poursuivie. Il s'agit de conduire à un gonflement énorme du déficit, parce que les coupes sombres dans les dépenses, évidemment, ne suivront pas les rythmes de prélèvements obligatoires. Nicolas Sarkozy va quand même avoir du mal à réduire par deux le budget de l'assurance maladie en cinq ans.
"Donc on est véritablement face à une stratégie typique Reagan ou Bush qu'on a observée aux Etats-Unis, où on fait à la fois des coupes sombres dans les dépenses et on laisse filer, on a un gonflement énorme du déficit, préparant des futures coupes sombres pour ajuster les comptes de l'Etat. Ensuite il y a une véritable stratégie très claire de désengagement massif de l'Etat, qui se manifeste aussi par des choix très symboliques dans les suppressions de certains impôts, puisque Nicolas Sarkozy propose notamment de supprimer l'impôt sur les successions.
"Il faut bien se rendre compte que là, le côté authentiquement réactionnaire au sens propre de cette proposition. C'est un impôt qui a été créé par la Révolution Française. Donc c'est vraiment un des acquis importants en matière de modernisation de la fiscalité de la Révolution Française. C'est un impôt qui a été rendu progressif sous la troisième république, en 1902, après des années et des années de bataille parlementaire - le Sénat avait bloqué pendant dix ans le vote de cet impôt, de même qu'ensuite pendant dix ans il a bloqué l'impôt sur le revenu. C'est vraiment une conquête de la troisième république. Le fait que cet impôt soit devenu progressif, c'est à dire pèse plus fortement sur les plus grosses successions. Aujourd'hui, il faut rappeler que 70% des Français ne paient pas d'impôt sur les successions, puisqu'ils sont en dessous du seuil d'exonération, et il faut vraiment atteindre des niveaux de succession de plusieurs millions ou de plusieurs dizaines de millions d'euros pour payer plus de 10 ou 15% sur les successions. Donc, on a un impôt qui a été rendu progressif il y a un siècle. Pendant un siècle tout le monde l'a accepté comme tel et, là, on a une remise en cause radicale - il ne s'agit pas de le baisser un petit peu, il s'agit de le supprimer. Donc, la parenté avec ce qu'a fait Bush aux Etats-Unis et Berlusconi en Italie - les deux seuls gouvernements qui se sont lancés dans une telle aventure - est évidente. Il y a un choix de vouloir perpétuer les inégalités de patrimoine au fil des générations. Il y a une cohérence également qui est évidente avec ce que propose Nicolas Sarkozy sur le dépistage systématique des délinquants et des pédophiles à l'âge de trois ans, pour les envoyer directement dans la case qui leur correspond selon lui. Dans les deux cas, on voit bien aussi bien sur les propositions économiques que sur sa vision sociale, il y a une vision qui est authentiquement réactionnaire, c'est à dire une vision dans laquelle chacun doit être dans sa case, où les cases doivent se perpétuer à travers les générations. Il y a une sorte d'inégalité naturelle irréversible, inéluctable, face à laquelle l'Etat n'est pas là pour essayer de corriger. L'Etat, au contraire, doit permettre à cette inégalité naturelle de se développer pleinement et même en l'aidant avec ces suppressions d'impôt sur les successions, ces dépistages. On est vraiment face à une droite d'une autre espèce que celle qu'on a connue en France dans le passé, une droite véritablement réactionnaire et qui s'apparente vraiment à un "bushisme" à la française."
3. Travail et retraite -
Michel Husson, économiste
"Le grand slogan de Nicolas Sarkozy, c'est travailler plus pour gagner plus. Et, déjà, ça en dit long parce que, s'il s'agit de revaloriser la fameuse valeur travail, ce n'est pas la voie de l'augmentation des salaires, de la lutte contre la précarité qui est choisie. Mais le message est : 'c'est la faute des gens, il faut qu'ils travaillent plus longtemps et donc leur permettre de la faire'. La mesure consiste à dire : 'on va mieux payer les heures supplémentaire pour les salariés, mais elles seront allégées, voire exonérées totalement des cotisations sociales, voire d'impôt aussi pour les salariés.' C'est présenté comme du gagnant-gagnant mais, en réalité, il y a une arnaque parce que le jeu est triangulaire. C'est à dire, les patrons vont être exonérés de charges et les salariés d'impôt sur des heures supplémentaires qui seront mieux payées, mais en revanche cela veut dire moins de ressources pour la sécurité sociale, donc à terme moins de retraite, moins de remboursement de sécu ou bien moins de ressources pour le budget de l'Etat. Ce qui veut dire à terme nécessité de baisser les dépenses et notamment de baisser de fait la qualité des services publics. Donc, le salarié, le salariat en général, semble y gagner à court terme, pour une partie d'entre eux, mais perd globalement à terme.
"Deuxième idée, sur l'emploi, c'est manifestement une mesure anti-emploi, puisqu'on incite (c'est le terme utilisé dans les politiques publiques), on incite les employeurs à préférer utiliser les heures supplémentaires plutôt que d'embaucher. Donc c'est clairement une mesure qui ne peut pas aller dans le sens des créations d'emploi.
"Troisième point, c'est principalement, en fait, parce que les heures supplémentaires on peut déjà en faire, elle jouent un rôle relativement marginal dans la gestion de la main d'œuvre aujourd'hui. C'est en fait une revanche purement idéologique qui consiste à faire sauter, tout en disant qu'on la maintien, toute référence à une durée légale du travail, puisque, en fait, la durée légale du travail c'est la durée à partir de laquelle on paye des heures supplémentaires plus cher. Or, si ces heures supplémentaires coûtent autant, voire moins qu'avant, il n'y a plus de durée légale du travail. Il y a une durée maximale qui est bien plus élevée qui ne pose pas de problème pour les employeurs.
"Travailler plus pour gagner plus c'est aussi faire travailler les gens plus longtemps pour accéder à une retraite à taux plein. Donc ça, c'était l'idée, c'est l'idée centrale de la réforme Fillon de 2003 et c'est l'idée qui va être rediscutée - parce que la loi Fillon le prévoyait - en 2008. Et bien que Nicolas Sarkozy ne dise que des choses marginales sur cette question, il va de soi que la logique consiste à aller plus loin sur ce recul de l'âge de la retraite avec les mêmes résultats qu'on a déjà obtenus, à savoir que les gens, compte tenu de l'état du marché du travail, compte tenu aussi de la pénibilité de leur métier, sont forcés ou préfèrent partir au même âge à la retraite qu'avant, mais avec une retraite qui est réduite. Donc l'ajustement se fait massivement là-dessus et Nicolas Sarkozy avait dit ça de discours sur la revalorisation du minimum vieillesse, de l'offensive sur les régimes spéciaux, mais, fondamentalement, la logique est celle de la loi Fillon, à savoir : baisser les pensions en repoussant l'âge qui donne droit à la retraite à taux plein.
"Nouvel effet négatif sur l'emploi, puisque, évidemment, dans les cas où on arrivera à maintenir sur place des travailleurs seniors, c'est un nouveau découragement à l'embauche de jeunes. Donc, conclusion générale, on reprend les mêmes idées qui n'ont pas fonctionné et on rajoute une volonté, par rapport à la précarité, plutôt que d'essayer de la réduire d'en faire le nouveau standard en générant un contrat de nouvelle embauche sous forme d'un nouveau CDI. Et donc le résultat global de ces politique, qui encore une fois sont dans la ligne directe de ce qui a été mené, notamment durant ces cinq dernières années ne peut conduire qu'au même résultat qu'ont été atteints au cours de ces cinq dernières années, c'est à dire, d'une part, une montée de l'insécurité sociale, qui est un sentiment très fort dans la société française et, d'autre part, une montée des inégalités."
4. Services publics -
Anne Debrégeas, chercheuse
"D'abord, il faut rappeler que les services publics sont une question cruciale. Vraiment c'est le pilier de notre modèle social. C'est un outil très puissant de redistribution de richesses. En donnant accès à tous aux biens de première nécessité, comme l'eau, l'énergie. En donnant accès à tous à une culture, à une éducation, à un service de santé ou de justice de qualité, ça préserve le pouvoir d'achat des plus pauvres. Et ce que prévoit Sarkozy, qui va consister, par exemple, à augmenter les forfaits hospitaliers, à dé-rembourser, à augmenter les frais d'inscription à la fac ou à augmenter l'électricité, ça va grever les budgets des plus faibles. C'est un outil également puissant d'aménagement du territoire. Il suffit d'entendre tous les élus et citoyens des zones rurales appeler à la préservation des services publics dans leur quartier. C'est un outil d'intégration. Mais en fait ce n'est pas du tout la conception de M. Sarkozy, qui ne voit dans les services publics qu'une charge pour le contribuable et qu'une manne potentielle de profits pour les actionnaires. Donc finalement, son programme tient en deux points essentiels, dans la droite ligne de ce qui s'est fait ces dernières années, c'est 1) réduire à tout prix les effectifs et les dépenses publiques et 2) privatiser tous les services publics qui sont privatisables.
"Donc ce sont deux axes qui sont totalement délirants au vu des réalités. Limiter, réduire les effectifs - M. Sarkozy parle de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux - ça ne revient comme il essaye de faire croire à supprimer des fonctionnaires dans des bureaux, qui seraient là à dormir. Ce n'est pas du tout ça. L'essentiel des fonctionnaires c'est des fonctionnaires qui sont au plus près des citoyens. Ce sont essentiellement les profs, les enseignants, ce sont les personnels des services hospitaliers, ce sont des gens au guichet dans différents secteurs et en fait ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux ça signifie qu'on va diminuer le nombre de profs dans des classes qui sont déjà surchargées, diminuer le nombre de personnels hospitaliers, par exemple, dans les secteurs d'urgence qui sont déjà débordés, diminuer le nombre de juges alors qu'on sait qu'il y a des gros problèmes, diminuer le nombre de chercheurs quand on sait l'enjeu qu'il y a derrière. Par exemple, diminuer le nombre d'infirmières, ne pas traiter des nouveaux sujets comme la prise en charge de la petite enfance ou de la dépendance. Voilà ce que cela signifie réellement.
"Et l'autre point sur les privatisations, alors là personne n'est capable d'expliquer en quoi les privatisations des services publics ont un intérêt pour les usagers. Tous les bilans, aujourd'hui, montrent que ça conduit, partout où ça a été effet, à des augmentations de tarif pour les usagers, à des charges supplémentaires pour l'Etat et à une dégradation substantielle des services publics. Ce sont des fermetures partout, par exemple, des bureaux de poste. Ce sont des dégradations sur la fourniture d'énergie, pour ne prendre que quelques exemples. Et, pourquoi on veut continuer ça ? Ce n'est pas une politique pragmatique comme tend à nous le faire prendre M. Sarkozy, c'est que derrière il y a des enjeux financiers. Pour les actionnaires, ce sont des opérations extrêmement rentables. Il suffit de prendre EDF, par exemple, le cours de l'action en un an et demi a doublé. Donc on voit où passe l'argent.
"En conclusion, la politique en matière de services publics de M. Sarkozy n'a rien à voir avec le pragmatisme, elle est, en fait, extrêmement dogmatique. Elle va consister à détruire un peu plus, une fois de plus, le tissu social en place, en concentrant les richesses entre les mains de quelques-uns, du camp de M. Sarkozy. Elle va généraliser la précarité parce qu'il est fort probable que les fonctionnaires qui ne seront pas remplacés seront partiellement remplacés par des contrats extrêmement précaires et elle va aggraver la situation de l'emploi dans un pays où l'emploi est un problème, où les besoins existent en matière de service public. Réduire les emplois dans ce domaine c'est une folie et puis surtout elle consiste également à dresser une fois de plus les citoyens les uns contre les autres, en faisant croire que les fonctionnaires sont des privilégiés. Qui peut croire honnêtement que les profs, que les instits, que les infirmiers, que les gens qui sont au guichet dans les différentes administrations sont des privilégiés alors que dans le même temps les actionnaires d'EDF voient leurs actions qui ont doublé ou que, pour prendre un exemple, les dividendes qui ont été versés cette années aux actionnaires du CAC 40, qui ne sont pas la France qui se lève tôt, représentent le salaire annuel de 1, 6 millions de fonctionnaires.
5. Santé -
Christian Lehman, médecin
"Le système de santé français a été considéré pendant longtemps comme l'un des meilleurs du monde. En fait, on a des taux de mortalité infantile, un taux de longévité des femmes qui sont de très bons taux, mais, aussi, on a des inégalités de santé qui sont très fortes. L'espérance de vie d'un ouvrier est inférieur à celle d'un cadre. Et, ces inégalités de santé, elles sont en croissance. On a de plus en plus de gens qui renoncent aux soins, pour des questions de santé, on a aussi de plus en plus de professionnels qui refusent des soins à des assurés.
"Comment ça s'est passé ? Comment est-on arrivé d'un système solidaire qui était issu du Conseil National de la Résistance à cette nouvelle donne dans laquelle il n'y aurait plus 'des patients et des soignants', mais d'un côté, des consommateurs et, de l'autre côté, des prestataires de service. Eh bien, il faut revenir aux réformes qui ont déjà existées, dont la réforme Douste-Blazy, qui nous a dit ce mot extraordinaire : 'C'est en changeant tous un peu qu'on peut tout changer'. Eh bien oui ! On a changé cette idée de l'assurance maladie solidaire. On a dit : les malades ne sont pas des malades, ce sont des irresponsables ; ils consomment n'importe comment, ils faut les pénaliser financièrement, il faut les responsabiliser ; et, les médecins, ils prescrivent trop d'arrêts de travail, d'accidents, etc.
"En fait, la réalité, c'est que ce qu'on veut c'est faire sortir la santé du domaine réservé où elle est pour la faire rentrer dans le domaine du commerce. J'étais à la convention de l'UMP le 27 juin 2006 et j'entends Nicolas Sarkozy à la tribune dire : 'Franchement, parlons franchement ! Nous parlons d'assurance maladie, y a-t-il une assurance sans franchise ?' Evidemment, si dans les mots 'assurance maladie', on escamote le mot solidaire, on se retrouve devant un simple problème de prestation commerciale. Et les assureurs privés, derrière, se frottent les mains. Mais est-ce qu'on veut quitter le français ? Un système qui a fonctionné pendant 40-50 ans, pour aller vers le système américain, un système où il y a 47 millions de personnes qui n'ont pas accès aux soins, un système où les gens sont encore plus flexibilisés, puisqu'ils accepteront n'importe quel travail pour essayer d'avoir une couverture sociale. Est-ce qu'on veut faire ça au moment où les Américains, eux - les Démocrates américains - essayent de mettre en place quelque chose qui ressemblait à ce qu'on avait : une couverture maladie universelle ?
"On est dans le dogme. On est dans l'idéologie. Et ce qui est extraordinaire aussi, c'est que même sur le pur plan économique, ça ne fonctionne pas. On met ça en place pour des raisons idéologiques, purement idéologiques. Et, ce qui est incroyable, c'est les demi-mensonges : en 2001, Nicolas Sarkozy parlait d'une franchise qui serait de 75 € à peu près - on a parlé de 50 à 100 €. François Fillon dit : 'Puisque les Français dépensent des centaines d'euros pour l'internet et la téléphonie mobile, pourquoi ne feraient-ils pas la même chose pour la santé ?' Je croyais, même si c'est le rêve érotique de l'Organisation Mondiale du Commerce, que la santé et la téléphonie mobile ce n'est pas exactement la même chose. Et aujourd'hui, devant les Français, le candidat Sarkozy, en ayant chaussé les bésicles de Blum et la barbe de Jaurès, vient nous dire : 'Oh non, mais il ne s'agit pas de 100 €, il ne s'agit pas de 50 €, il s'agit de quelques misérables centimes d'euro'. Donc, non seulement on nous prend pour des gogos, non seulement on essaye de casser ce qui est issu du Conseil National de la Résistance, mais en plus on nous ment, à chaque fois. Et donc, il va falloir qu'on se pose la question, au moment de mettre le bulletin de vote, 'est-ce qu'on veut voter pour des gens qui veulent nous pénaliser et qui nous disent constamment que nous sommes des irresponsables, qu'on ne pourrait responsabiliser que par l'argent.'
Je n'ai pas fait médecine pour rentrer dans le train des puissants.
6. L'école -
Bruno Julliard, président de l'Unef
"Ce qui est marquant dans le projet de Nicolas Sarkozy, concernant l'école et la jeunesse, c'est la formidable absence de toute ambition, pour l'école et pour la jeunesse. Je crois d'ailleurs que c'est une rupture historique dans la droite républicaine et sociale de notre pays que de mépriser à ce point l'école et de ne plus considérer l'école comme étant un outil d'émancipation de la jeunesse, un outil d'ascension sociale de la jeunesse. Et on constate que Nicolas Sarkozy, à la fois par le mépris, l'absence de propositions, l'absence d'ambition pour l'école et puis aussi la promotion de la répression, a décidé que l'école était un poids de la dépense. On voit d'ailleurs que dans bon nombre de ses discours et de ses meetings que l'école est un poids comme l'ensemble des services publics.
"On voit quand même poindre, dans bon nombre de discours et dans quelques propositions annexes de Nicolas Sarkozy, une idéologie et une vision élitiste, libérale et finalement réactionnaire de l'école.
"Une vision libérale, parce que Nicolas Sarkozy souhaite soumettre l'école aux logiques de rentabilité économique traditionnelle comme l'ensemble de la sphère économique de notre pays. La concurrence entre les établissements, par exemple, et particulièrement dans l'enseignement supérieur. Il est d'ailleurs très probable, comme dans l'ensemble des pays comparables à la France qui ont soumis leur système éducatif à la logique de la rentabilité, qu'on commence par le supérieur. Lorsque Nicolas Sarkozy propose l'autonomie totale des établissements d'enseignement supérieur, ce n'est pas pour une plus grande proximité de la démocratie et du pouvoir de décision, pour les enseignants ou les étudiants, mais c'est, en réalité, pour organiser la concurrence. Concurrence entre les individus. La suppression de la carte scolaire en est un exemple flagrant.
"Vision libérale aussi lorsqu'il souhaite diminuer les moyens de l'école, c'est la politique de la droite depuis cinq ans et j'ai la conviction que ce sera amplifié dans les années qui viennent, particulièrement lorsque Nicolas Sarkozy annonce qu'il ne remplacera pas un départ à la retraite sur deux, ce qui fera des ravages dans l'école.
"Vision également élitiste de l'école. Lorsque Nicolas Sarkozy promet la sélection à l'entrée de l'université, lorsqu'il promet l'augmentation des bourses au mérite pour les lycéens ou les étudiants, on voit qu'il obéit à une vision élitiste, c'est à dire où il souhaiterait revenir à une espèce de nostalgie qui existe dans une grande partie de la droite, particulièrement dans la droite conservatrice, à laquelle appartient Nicolas Sarkozy, que l'école c'est d'abord fait pour l'élite et non pas pour massifier."
7. La recherche -
Alain Trautmann - Biologiste
"Dans la campagne présidentielle actuelle, tous les candidats ont déclaré que la recherche est une question prioritaire. Cela, ce sont leurs intentions. Maintenant quels sont les faits ? Il y a eu récemment un mouvement de chercheurs, en 2004, qui aboutit, en particulier, aux états généraux de la recherche, lors desquels les chercheurs ont fait un ensemble de propositions extrêmement intéressantes, susceptibles d'améliorer l'efficacité du système de recherche en France.
"Au printemps 2006, une loi a été votée et les caractéristiques de cette loi c'est qu'elle tourne le dos aux propositions des états généraux de la recherche. Et ceci, malgré le fait que de très nombreux parlementaires, depuis le Parti Communiste jusqu'à l'UDF, en passant par les Verts et le PS, avaient repris très largement les propositions de 'Sauvons la Recherche !' Mais, l'IMP si y est opposé et le gouvernement s'y est opposé ; Nicolas Sarkozy a voulu cette loi qui écarte des mesures très importantes en faveur des jeunes, qui met en place des dégrèvements fiscaux qui auront un coût considérable pour le pays, sans aucune évaluation de leur efficacité. Il a mis en place une agence contrôlée par le ministère de la recherche : L'ANR, qui aura bientôt la quasi exclusivité du financement et donc de l'orientation des recherches des laboratoires. Il ne supporte pas que les chercheurs aient une trop grande indépendance de pensée et d'organisation. Une structure comme le CNRS y était favorable, il a donc décidé de la casser. Je ne plaisante pas : 'La suppression du CNRS est dans les cartons de Nicolas Sarkozy. Il l'a annoncé. Ce terme continuera a exister mais il sera vidé de sa substance.
"L'expérience que les chercheurs ont de Nicolas Sarkozy, c'est donc le refus de prendre en compte les propositions de ces professionnels. Ce qui m'importe ce ne sont pas ses discours mais les décisions qu'il a prises et elles montrent sans ambiguïté sa conviction que la recherche doit être guidée, comme l'ensemble des activités humaines, par la recherche du profit maximum et à court terme. Ce sera, à mon avis, catastrophique pour, non seulement la recherche, mais pour le pays.
"L'équipe responsable de la recherche autour de Ségolène Royal, c'est bien battu lors de la discussion du vote de la loi sur la recherche, en reprenant largement des propositions de 'Sauvons la Recherche !' Pour autant, je n'oublie qu'à ce moment-là le PS était dans l'opposition et que lorsque le PS était au pouvoir, un certain nombre de mesures franchement mauvaises avaient été prises. Et donc, il n'est pas question de donner un blanc-seing à Ségolène Royal, en revanche, je pense que nous aurons les conditions dans lesquelles il sera possible de discuter, de se faire entendre et si elle nous entend mal, nous saurons le lui rappeler.
"En revanche, si Nicolas Sarkozy est élu, nous savons ce qui nous attend, à savoir qu'il ne sera pas possible de se faire entendre et qu'il mettra en place une politique brutale, qu'il a décidée à l'avance. Dans ces conditions, pour moi, le choix est clair."
8. La culture -
Jeanne Balibar, comédienne
"Ce que je trouve inquiétant dans le projet du candidat UMP, c'est précisément qu'il est extrêmement peu question de culture. Il est très difficile aujourd'hui, je le crois, de se faire une opinion précise de ce qui est proposé par Sarkozy. Ce qui n'est pas du tout le cas de Ségolène Royal, qui n'a pas été extrêmement diserte sur ces questions, mais qui a quand même fait un certain nombre de propositions dans les différentes interviews qu'elle a données et en public.
"C'est très difficile de savoir à quelle sauce la question culturelle va être traitée. Mais on a quelques éléments qui sont, d'une part, pour le moment, la proposition d'agréger le ministère de la culture au ministère de l'éducation et, aussi, surtout des médias ; et, d'autre part, ce qu'on a en mains, ce sont les liens personnels et d'intérêts puissants que Nicolas Sarkozy entretient avec des groupes de médias.
"Alors, concrètement, pour les histoires de culture, au-delà des questions de liberté de la presse, etc., cela veut dire que l'on a toutes les raisons de penser que, dès l'instant où on traite la question culturelle avec la question médiatique, on abonde dans le sens d'une évolution qui est déjà en cours, que ce ne seront plus des institutions officielles ou non, c'est à dire, ou bien le CNC pour le cinéma ou bien la Direction des Théâtres pour le théâtre, des institutions émanant du ministère de la culture, d'une part, et d'autre part, des institutions de fait, c'est à dire des gens qui ont monté des sociétés de production et qui sont restés uniquement dans le domaine de la production de la musique, du cinéma, du théâtre ou dans l'édition, mais, plutôt que toutes ces institutions vont être désormais - et c'est déjà ce qui est en train de se produire - mises au service d'une industrie entièrement commerciale de la production artistique. Je m'explique : par exemple, il y a aujourd'hui des films qui sont produits par TF1 et dont les productions sont universellement défendues avec des espaces de publicité gratuits, des articles, etc., par des groupes de presse proches de TF1, de manière à boucler complètement le paysage culturel et à faire, en réalité, de l'exception culturelle française une lettre morte.
"Donc, ce que je trouve très inquiétant, c'est cette espèce d'ultra libéralisme qui n'a pas été présenté comme un programme par Sarkozy, mais qui est dans les faits déjà opérant et dont on a toutes les raisons de penser qu'il aura vraiment libre court. Celui-ci provient d'une idéologie de merchandising, de "mercantilisation" de la chose artistique et n'est pas un projet d'aide à la création et d'aide à la liberté de la création artistique. Et, ce que je crois être très grave ici, c'est que l'enjeu est, d'une part, la possibilité pour des paroles minoritaires de trouver une base d'existence à l'intérieur d'un système qui, de toutes façons, est commercial. Parce que le spectacle est une industrie et l'édition aussi - ça a toujours été le cas. Mais il y avait jusqu'à présent en France depuis Malraux, une politique de protection d'une zone de recherche et c'est là, à mon avis, que toutes ces questions qui ont agité les milieux de l'art rejoignent celles qui agitent les milieux de la recherche. Parce que ce qui est en danger est une zone de recherche où puisse s'exprimer une parole minoritaire et aussi où puisse se rechercher des choses. En fait, c'est aussi la place de la France dans le monde de l'art qui est en question.
"En codicille, je dirais qu'il n'y a eu aucune parole de Sarkozy sur la question des intermittents du spectacle, contrairement à Ségolène Royal qui a dit qu'elle reposerait la question complètement. Ce qui se profile en filigrane derrière la question de l'intermittence, c'est non seulement la possibilité pour des gens d'exercer une activité artistique de manière raisonnée, concertée, libre, et tout cela, mais aussi que la question de l'intermittence recouvre la question de la sécurité professionnelle. Pourquoi la droite s'est-elle tellement acharnée contre le statut des intermittents du spectacle ? Pas à cause des quelques millions de déficit ou des quelques personnes qui se ressemblaient, mais parce que cela correspond à un modèle social dont elle ne veut pas entendre parler.
Deuxième partie
Posté par Adriana Evangelizt