Un mois de traque pour débusquer les barbares

Publié le par Adriana EVANGELIZT

Après un mois de traque, la police démantèle le "gang des barbares"

Depuis midi, vendredi 17 février, leur portables n'ont pas cessé de sonner. "Bravo !", "enfin !", "qu'est-ce que ça fait du bien !", s'exclament collègues, amis et parents, depuis que les policiers de la Brigade criminelle de Paris, appuyés par les hommes de la Brigade recherche et intervention – une centaine de personnes au total auraient participé à l'opération – ont arrêté dans la nuit plus d'une dizaine de suspects, tous accusés d'appartenir au gang des kidnappeurs du jeune Ilan Halimi, retrouvé mort quatre jours auparavant.

"Ça va mieux, effectivement", témoigne l'un des policiers qui a participé à l'opération et qui, depuis plus de trois semaines, est, comme une centaine de ses collègues (brigade criminelle, anti-terroriste, scientifique...), "sur le pont" pour tenter de résoudre l'une des affaires de prise d'otage les plus "tordues" – et dramatiques – de ces dernières années en France.

Depuis le 13 février au matin, le moral était au plus bas au 36, quai des Orfèvres : ce jour-là, une passante découvre le corps d'Ilan Halimi, un vendeur dans une boutique de téléphonie mobile du 11e arrondissement de Paris âgé de 23 ans, agonisant près de la gare de Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne), trois semaines après son enlèvement. Des traces de mauvais traitements, des blessures à l'arme blanche et des brûlures sont constatées sur "plus de 80 %" de son corps. Il a "vécu le martyre", selon les policiers : torturé, affamé, battu de façon particulièrement sauvage, il décède dans l'ambulance sur le chemin de l'hôpital. Les fonctionnaires de la "crim'", pourtant coutumiers des faits les plus sordides, ont comme du mal à se remettre : pourquoi une telle barbarie gratuite alors que les négociations étaient à deux doigts d'aboutir ? Le jeune Ilan aurait même été aspergé d'essence...

UN IMPRESSIONNANT SYSTÈME DE TRAQUE

Depuis le début de cette affaire de kidnapping, les enquêteurs sont confrontés à une multitude de questions, les unes les plus déstabilisantes que les autres, autant sur l'identité des membres du groupe, que sur leur mode opératoire et leurs revendications. Dans la nuit du 20 au 21 janvier, Ilan se rend à un rendez-vous galant en région parisienne ; quelques jours auparavant, il avait été approché dans sa boutique par une jeune femme "avenante" : "l'appât" du groupe. Par la suite, la police établira que la bande a déjà testé avec plus ou moins de succès cette technique, utilisant tantôt une jeune femme blonde, tantôt une brune. Au moins trois autres tentatives, utilisant ce même mode opératoire, ont été mises au jour par les policiers. L'heureux hasard, ou les doutes suscités chez les victimes, ont fait qu'elles ont échoué.

Pour ce qui est des revendications, il s'agit à première vue d'extorquer de l'argent aux proches ou à la famille de la victime comme dans une affaire d'enlèvement classique. Le père et la petite amie d'Ilan recoivent très rapidement par téléphone, courrier éléctronique et SMS, des demandes de rançon oscillant entre 50 000 et 450 000 euros. Premier problème : la victime ne provient pas d'une famille fortunée. Un constat qui amène les policiers à se poser tout d'abord la question d'une éventuelle connivence entre le gang et sa victime, pour ensuite supposer qu'Ilan se serait "vanté d'avoir reçu un héritage". Toujours est-il que le montant de la somme tombe vertigineusement (selon certaines sources la revendication aurait chuté à 5 000 euros vers la fin), sans que les kidnappeurs ne se décident à se "découvrir", selon la terminologie policière, c'est-à-dire proposer des modalités d'échange.

"Concernant les moyens d'approche, ils étaient parfaitement au point, c'était un sans-faute, témoigne une source proche de l'enquête. C'est lorsqu'il fallait conclure que, soit ils se dégonflaient, soit ils ne savaient plus comment faire. Soit, encore, ils voulaient continuer à nous tourner en bourrique". Pendant trois semaines, les policiers de la "crim'" mettent pourtant en place un impressionnant système de traque, utilisant des filatures, des planques mais aussi une surveillance technique sophistiquée qui les mobilise 24 heures sur 24. Au moins à une reprise, ils seront à quelques minutes de mettre la main sur celui qui semble être le chef, ce jeune homme noir qui apparaît le visage caché par une écharpe sur l'une des photos prises par le dispositif de surveillance.

"YO-YO" DES REVENDICATIONS

Des policiers se relaient également nuit et jour au domicile de la victime où ils réceptionnent et traitent les communications avec les ravisseurs. Les négociations traînent en longueur, s'enlisent ; les ravisseurs donnent des rendez-vous fantaisistes pour aussitôt les annuler, jouent au "yo-yo" avec les nerfs des enquêteurs et les sommes demandées. Leur principale demande, jugée "irréaliste" par les policiers, consistait à faire virer de l'argent via Western Union dans un pays africain et, selon les enquêteurs, "ils se sont enfermés dedans". Au vu de cette situation, les policiers vont jusqu'à se demander s'ils n'ont pas affaire à une résurgence du groupe AZF – dont les revendications fantaisistes ont tenu en haleine les autorités françaises en 2004 et 2005.

C'est la découverte du corps supplicié d'Ilan qui accélère les choses. Alors que leurs chefs et les magistrats chargés du dossier sont obligés de "communiquer" sur cette affaire, jusque-là demeurée confidentielle, les policiers sont "dépités" : c'est pour la première fois qu'une affaire d'otage traitée par la "crim'" en France se termine par sa mort. "Horrifiés" par la cruauté du groupe, ils redoublent d'efforts alors que les spécialistes se perdent en conjectures sur les motivations de la bande : "crime gratuit", "asocial", "raciste"... Plus terre à terre, certains enquêteurs mettent en garde : "C'est peut-être aussi un avertissement. Terrorisés, les proches de leur prochaine victime se contenteront de remettre la rançon, sans faire appel à nous."

La Brigade criminelle détient également, depuis le début de la semaine, un homme soupçonné d'avoir été contacté par le gang pour servir d'intermédiaire dans la remise de rançon. Mais ce n'est pas lui, qui n'a pas l'air de les connaître, qui va les mener jusqu'à la bande. Le 16 février, une jeune femme qui s'est reconnue dans le portrait-robot de "l'appât" diffusé par la police se présente dans un commissariat de la banlieue parisienne : placée en garde à vue, elle avoue avoir attiré des jeunes garçons pour le compte du gang, précisant qu'elle ne savait pas ce qui risquait de leur arriver. Parallèlement, le piège monté grâce aux traques physiques et au traçage GPS se referme sur l'un des membres du groupe, qui sera trahi par son portable. Leurs deux témoignages, concordants, vont leur indiquer la piste de cet appartement de la cité du Tertre de Bagneux (Hauts-de-Seine) qui aurait servi de lieu de détention pour Ilan.

Après, ce n'était plus qu'une question d'heures. "Je n'ai jamais vu mes collègues aussi déterminés, tout le monde voulait en finir avec cette histoire", témoigne un fonctionnaire du 36, quai des Orfèvres qui a participé à l'opération. Plusieurs d'entre eux ont même écourté leurs congés annuels pour participer à l'interpellation de ceux qui ont torturé et tué Ilan Halimi et joué pendant plus d'un mois avec les nerfs de la "crim'".

Sources : LE MONDE

Posté par Adriana Evangelizt

Publié dans Crimes

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