Et si Fofana était Ivoirien ?
Et si Fofana était ivoirien ?
C’est ce que tente de démontrer en ce moment ses avocats à Abidjan. Une telle preuve empêcherait juridiquement l’extradition du meurtrier du jeune Ilan Halimi. L'avocat de la famille de la victime n'y croit pas.
Jeudi, les avocats de Youssouf Fofana vont tenter d'établir la nationalité ivoirienne de leur client devant la chambre d'accusation du tribunal d'Abidjan. En jeu, l’impossibilité d’extrader le chef présumé du « gang des barbares », qui a tué et torturé Ilan Halimi. Leur discours devrait s'appuyer sur deux principaux arguments.
Deux arguments décisifs pour la suite
Le premier, au cœur de leur plaidoirie, s'appuie sur l'idée que Fofana est «Ivoirien de par ses parents, tous deux de nationalité ivoirienne». En tant qu'Ivoirien, le meurtrier présumé d'Ilan Halimi peut donc être jugé dans son pays, pour des faits commis à l'étranger, comme l'autorise la loi ivoirienne. Et l’accord de coopération en matière judiciaire, signé le 24 avril 1961 entre la France et la Côte-d’Ivoire, permet à chacun des pays de ne pas extrader ses nationaux.
Deuxième argument: même si M. Fofana est détenteur d'un passeport français, ce passeport ne constitue pas, juridiquement une preuve de nationalité. Celle-ci est établie, en Côte d'Ivoire comme en France, par le certificat de nationalité. Pourtant, né en 1980 à Bagneux (en banlieue parisienne), il ne s'est pourtant jamais prévalu de la nationalité ivoirienne, et ne dispose pas d'un certificat de nationalité de ce pays, ni même d'une pièce d'identité émise en Côte d'Ivoire, selon les autorités locales.
Suspense autour du certificat de nationalité
Venu en Côte d'Ivoire avec un passeport français portant un visa ivoirien, «M. Fofana est français», ne cesse de réaffirmer le ministère de la Justice ivoirien, à l'unisson de tous les acteurs ivoiriens impliqués dans le dossier, comme la police judiciaire d'Abidjan. Une fiche Interpol que l'AFP a pu se procurer indique que Youssouf Fofana est de nationalité française, et ne mentionne pas de double nationalité ivoirienne.
Un certificat de nationalité s'obtient pourtant aisément -en quelques heures- auprès des services du ministère de la Justice à Abidjan, si on en fait la demande et que l'on peut prouver la nationalité ivoirienne d'un de ses deux parents. Les avocats de Youssouf Fofana pourront-ils produire jeudi devant la chambre d'accusation un tel certificat de nationalité pour leur client? Réponse à l'audience. Même sans cette preuve, les avocats tenteront bien évidemment de défendre le principe d'une nationalité de droit de leur client, dont il peut se prévaloir au nom du «droit du sang», en vigueur en Côte d'Ivoire.
Dans l'hypothèse où la chambre d'accusation jugerait ce dernier argument recevable, se poserait alors un autre problème. Selon les officiels ivoiriens, le pays interdit la double nationalité, même si en pratique des milliers d'Ivoiriens disposent des deux passeports et jouent sur les deux tableaux.
Szpiner n'y croit pas
L'avocat de la famille d'Ilan Halimi, Francis Szpiner, a estimé jeudi matin sur France-Info que l'extradition de Côte d'Ivoire de Youssouf Fofana, le chef présumé du gang responsable de la mort du jeune juif, pourrait prendre « entre huit jours et trois semaines ».
Pour l'avocat, Youssouf Fofana ne devrait pas pouvoir se prévaloir de la nationalité ivoirienne pour éviter son extradition. Il est un citoyen français, il est rentré en Côte d'Ivoire avec un passeport français, il était muni d'un visa, ce que tout étranger fait quand il veut rentrer dans un pays et donc c'est un Français qui est en fuite'', a-t-il souligné, avant de conclure : « C'est une affaire très simple et le ministre ivoirien de la Justice a fait exactement la même analyse ».
procédure « à 100% ivoirienne »
Le collectif d’avocats, maîtres Michel Yao, Nicolas Messan, Wildfried Koffi, Daniel Gboto Ntakpe et Mamadou Guiro, ne se sont pas exprimés publiquement jusqu'à présent, et ne dévoileront leur argumentaire précis que devant les juges. Leur démarche serait «uniquement juridique et non politique», assure un proche.
Du côté français, on rappelle que la procédure est désormais entre les mains de la justice, et «à 100% ivoirienne». Mais on se montre relativement confiant, du fait de la bonne volonté politique affichée par les autorités politiques à Abidjan, en particulier par le président Laurent Gbagbo.
Et on met en avant dans le débat juridique l'article 52 du code de la nationalité ivoirien, qui stipule que «l'Ivoirien qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger, à la condition qu'il ait également la nationalité de ce pays», perd d'office sa nationalité ivoirienne. En clair, M. Fofana, qui a agi toute sa vie en citoyen français, ne peut subitement se revendiquer Ivoirien.